Le désastre d’Etreval

Le désastre d’Etreval

Au cimetière de la ville, dans la première allée transversale, presque en face de la chapelle Contal, on lit sur une tombe, l’inscription suivante « Ici repose Marg. Falque, épouse Thirion, décédée le 21 juillet 1841, victime du désastre d’Etreval. »

Château d'Etreval
Château d'Etreval

Lorsque le Chanoine MARTIN interrogea, en 1939, les plus de soixante-dix ans de la paroisse à ce sujet, les renseignements obtenus furent plutôt maigres et vagues. Il eut même un échantillon de la rare puissance qu’à la tradition orale de grossir, avec le recul du temps, les moindres faits :

« Ah ! oui. La catastrophe d’Etreval ! Il y a eu une centaine de victimes !.. Le sang coulait du château dans l’Uvry.

— Pardon ! Vous voulez dire le Brénon.

— Rien que ça ! »

Pour en avoir le cœur net, il fit consulter les journaux régionaux de l’époque, le Journal de la Meurthe et l’Espérance, et apprit ce qu’il voulait savoir.

C’était le 21 juillet 1841, on procédait à la vente mobilière du sieur Charles-François-Marie de Thomassin, décédé au château d’Etreval, le 13 juin précédent. (Par sa mère, il était le petit-fils de Dominique de Tervenus, propriétaire du château avant la Révolution.)

Le notaire Jacquot, de Vézelise, effectuait la vente, à la demande des sept héritiers, parents éloignés du défunt. Le château et le domaine ne furent mis en vente que le 9 décembre suivant.

Château d'Etreval
Château d'Etreval

La curiosité, comme d’ordinaire en pareille occasion, avait attiré pas mal de monde du voisinage. « La foule était immense, chacune des chambres du vieux manoir était encombrée d’amateurs et de visiteurs ». Or, au moment où l’on allait passer à la vente des meubles d’une chambre du premier étage, et quand déjà, sur les pas de l’officier ministériel, plus d’une centaine de personnes s’étaient engouffrées dans la pièce, « une poutre qui soutenait, par le milieu, le plancher, se brisa tout à coup sous la charge, et ensevelit dans les décombres la foule entassée immédiatement au-dessous… Le plancher crevé forma une espèce d’entonnoir dans lequel étaient pêle-mêle plus de cent cinquante personnes, marchant les unes sur les autres. Un lit, une commode et son marbre, avaient suivi la foule sur ce plan incliné, et sans la présence d’esprit d’un homme de Goviller, un secrétaire aurait eu le même sort, si, placé sur le seuil de la porte, il ne l’avait retenu d’un bras vigoureux, évitant ainsi un nouveau malheur. »

Ce fut un horrible spectacle. Des cris de douleur s’élèvèrent de toutes parts. Au dehors, les gens, glacés d’épouvante, n’osèrent, sur le moment, pénétrer dans la maison.

La nouvelle de la catastrophe fut vite connue de Vézelise. C’est un propriétaire d’Omelmont, un sieur Florentin, qui vint l’annoncer, « le visage en feu, les traits renversés, et dans une exaltation impossible à décrire ».

On devine la consternation et l’angoisse de la ville, et de ceux surtout qui savaient l’un ou l’autre des leurs à la vente d’Etreval. On devine leur hâte, leur course éperdue à travers champs, vers le château fatal. C’est à qui arriverait des premiers.

« Quand, dans mon enfance, les vieux nous racontaient l’accident, ils ne tarissaient pas sur l’indescriptible panique qui s’était emparée de tout Vézelise. Ils ajoutaient qu’on ne pouvait s’en faire une idée ». (Témoignage d’une octogénaire en 1939)

Cependant, les premiers secours s’organisaient. On se mit en demeure de retirer des décombres les blessés. Une soixantaine, dont quatre devaient succomber peu après : la jeune femme Thirion, épouse d’un tailleur de pierres de Vézelise ; une mère de sept enfants et un homme de Thorey ; une femme d’Eulmont, « dont les poumons étaient remontés dans la gorge ».

Nous n’avons pu savoir si d’autres étaient morts des suites de leurs blessures. Le jeune clerc du notaire, un fils Godot, de Vézelise — dont le père eut une jambe brisée — avait été trouvé dans un piteux état, couché mourant sur la table devant laquelle il écrivait, une poutre pesant sur son dos. Il semble bien qu’il en soit réchappé.

On admira dans cette pénible circonstance le dévouement exemplaire du jeune docteur Borom, du pharmacien Salle, de Mme Joseph Ory, tous de Vézelise, et du curé de Vandeléville.

« Seul pour prodiguer à plus de soixante blessés et mourants, les soins que réclamait leur état, la courageuse activité du docteur ne se ralentissait pas un instant. On l’a vu déchirant sa chemise pour en bander les plaies de ces malheureux. Mais le soir, les forces l’abandonnant, couvert de sueur et de sang, il fut contraint de se faire reconduire chez lui. Sa santé en était altérée, cela ne l’empêcha pas de repartir le lendemain dès 5 heures, pour Etreval. »

En ces temps pacifiques, et dans un Saintois aussi pacifique, où l’on n’avait guère d’accidents à enregistrer, cette pénible catastrophe ne fut pas sans frapper vivement les esprits. C’était un événement sensationnel dont on se souvint longtemps, et que plus d’une fois, sous le manteau de la cheminée, à leurs petits-fils attentifs, les bonnes grand’mères durent conter, par le menu détail, avec des larmes dans la voix.

Source

Histoires et évènements concernant Vézelise par le Chanoine MARTIN, Curé de Vézelise de 1925 à 1932